Sauver la planète peut attendre
Tifen DUCHARNE
Je ne rate pas les James Bond, ni à la télé quand j’étais petiote, ni maintenant quand un nouveau sort au cinéma. J’adore ce personnage, évidemment il a sa part d’ombre, évidemment il a des cas de conscience, mais au fond, ce que j’aime c’est son incroyable efficacité, cette capacité de réaction quasi immédiate, cette façon de retomber sur ses pattes en toute circonstance. C’est les avantages du robot sans les inconvénients finalement.
Est-ce que j’aime sa voiture, son whisky, ses gadgets ? C’est une question que je me pose maintenant qu’on connait tout le travail fait autour du placement de produits dans les films. Le personnage a un côté british chic cultivé, les gadgets apportent un aspect humain, ce besoin d’un outil pour prolonger l’intelligence et augmenter l’efficacité physique, et un brin d’ironie. Le gadget, ce truc qu’on aime bien, qui ne sert à rien mais qu’on garde pour le cas où… il faudrait sauver le monde par exemple.
Pour « Mourir peut attendre », il a fallu retourner certaines scènes : le COVID a interrompu la vie des cinémas, le film n’a pas pu sortir en même temps que le nouveau Nokia qui était le smartphone de Bond, ses vêtements étaient d’une ligne de mode qui n’est plus la bonne maintenant que le film et en salle… Ce dernier 007 incarné par Daniel Craig aurait dû sortir plus tôt, mais ils ont dû prendre le temps de retourner les scènes avec le nouveau nouveau nokia, la bonne fringue et le bon modèle de bagnole.
Pour « Skyfall », sorti en 2012, 30 marques étaient associées au film. Pour « Demain ne meurt jamais » sorti en 1997 avec Pierce Brosnan, la campagne de promotion des marques et le placement de produits dans le film est évaluée à 100 millions de dollars. Cette campagne a d’ailleurs été assez critiquée… Trop de marques comme Heineken qui ne collaient pas avec le caractère chic de Bond, James Bond.
Chaque jour nous sommes exposés à plus de 10 000 marques. Chaque jour des personnes surexploitées traitent du coton avec des pesticides, des enfants fabriquent des tissus hyper traités. Partout dans le monde où le travail coûte si peu cher aux « investisseurs », les vêtements de ces marques sont confectionnés. Chaque jour on reçoit des offres promotionnelles pour un nouveau smartphone, fait de matériaux rares, dont l’extraction nécessite de pourrir intégralement la faune et la flore locales pour des décennies, de semer la terreur chez les humains du coin, et à la fin (de plus en plus proche), quand yen aura plus, de la ressource… AVEC QUOI VA T’ON TOURNER LES SCÈNES DU PROCHAIN JAMES BOND ?! Quand même pas des fringues d’occase et des smartphones reconditionnés, merde… la honte…
Pass ou No Pasaran ?
Philippe CAZENEUVE
Cette interrogation tourne en boucle dans la tête de beaucoup d’acteurs·trices de l’Action culturelle et socio-culturelle depuis plusieurs semaines.
Des médiathèques aux piscines : Sortez nous de ce mauvais pass ! [Libération – 27/09/21]
Nous pensions qu’un Pass servait forcément à ouvrir des portes, à faciliter l’accès à des publics dit « éloignés ». C’était sans compter avec la Novlangue …
Par un habile tour de passe-passe, le Pass sanitaire interdit l’accès à des lieux qui n’attirent pourtant pas foule, mais n’est pas exigé pour se coller les uns sur les autres dans les transports en commun et aux caisses des grandes surfaces …
Le Pass filtrant serait-il une passoire ? A moins qu’il ne soit un philtre magique pour faire passer une pilule amère ?
En ce qui me concerne, j’ai commencé par refuser quelques dates avec Pass, essayé de décaler certaines demandes sur 2022, accepté des dates avec Pass en proposant d’animer en plus dans un lieu privé un temps d’échange ouvert à tous·tes … Bref, je bricole, je m’adapte en essayant de ne pas perdre l’énergie qui m’anime et le sens de ce qui me semble juste. Les mots justes sont parfois un bon remède aux idées malignes :
Vive le management agile !
Vive la poudre de perlimpinpin !
Christophe ABRAMOVSKY
Agile, agile… Désormais, le management doit être agile, et disruptif – j’adore ce mot, il m’évoque immédiatement notre Président. Parfois, il faut rendre à César, ce qui est à Jupiter. Je m’égare.
Agile, donc. Les mots sont comme les modes, ils surgissent et effacent ceux devenus obsolètes. On ne parle jamais assez de l’obsolescence des mots. De la magie, je vous dis. Avant on avait le management humaniste, le Lean management, le Chief Happiness officer – manager du bonheur pour les non américanophiles étasuniens. Avant, fallait être heureux au boulot, au risque d’être ringard, fallait bouffer des chamallows et faire le yogui l’air réjouis.
Maintenant, faut être agile. Tu le vois ton matou quand il saute sur le tabouret, puis bondit sur le bord de l’évier sans se casser la gueule. Agile, ton matou. Ben ! le management, c’est pareil. C’est la souplesse incarnée, l’adaptabilité, la flexibilité tous azimuts, la génuflexion avec pont arrière et distorsion de la cyphose.
Ah, c’est pas donné à tout le monde d’être agile, faut du talent, mon collaborateur, du talent naturel, inné, le genre de truc que tu ne pourras jamais acquérir avec l’expérience, la qualification, l’accumulation des savoir-faire de métier. Non ! Mon collabo, le talent c’est un don du ciel, comme l’agilité.
Heureusement, pour parler peuple, y’a le Scrum. Quoi, t’as toujours pas le parlé américano-étasuniens. Fais gaffe, mon subordonné, tu vas te faire étriller au prochain reporting.
Bref, le Scrum, c’est très méthode agile, c’est comme avec le rugby, t’as la mêlée – le Scrum – et pour rendre heureux tes clients, tu pousses en mêlée tous ensemble. C’est beau comme de la coopération, sauf que là, c’est du pipeau – ouais, je suis musicien aussi. T’as le n°9, le demi-de-mêlée qui est à la manœuvre, avec son demi d’ouverture qui oriente le truc. Ils sprintent tous – bon, là, on voit bien que la métaphore du rugby, ça marche pas trop. Parce que va faire un sprint avec des piliers qui font plus du quintal. De la clarinette pour new manager sortis d’écoles de commerce bon chic bon genre. Le Médef, il adore l’agilité. Ça mange pas de pain, ça met au pas les subordonnés, jusqu’à la prochaine mode…