Le jour où … – Juin 2021

Tifen

Le jour où …
j’ai compris ce que
le mot privilège voulait dire

Je vis pas très loin d’Aix les bains, ville thermale qui a eu beaucoup de succès fin XIXè début XXè, quand le thermalisme a été très à la mode. La reine Victoria en personne venait faire des cures. Et ce que sa majesté aimait par dessus tout, c’est monter à la Chambotte, seul point de vue qui permet d’embrasser tout le lac du Bourget. Ce lac est immense, magnifique, très profond car c’est un ancien volcan. La Chambotte on y est en 15 minutes en voiture en partant du bas, c’est une route qui ne fait que monter, le dénivelé est assez fort. Avec mon père on allait dans le café/restaurant qui s’y était installé et faisait bénéficier aux touristes de la vue, en dégustant des scones tout chaud, avec de la confiture de myrtilles ou du miel. Ils avaient gardé cette habitude des fréquentations de la la reine.La reine victoria y montait en calèche j’imagine, mais à un moment, il fallait marcher, pour accéder au sommet.
Dans le café il y avait des cartes postales montrant la reine en chaise à porteur. Une fois installée en haut, des domestiques lui apportaient ses scones.Je ne sais pas quel âge j’avais, 7 8, 9, 10 ans ? Cette carte postale m’est restée en travers de la gorge et je me suis juré de toujours marcher avec mes propres pieds.

Christophe

Le jour où …
j’ai perdu le goût
des certitudes

Je voulais faire du « Daniel Mermet », c’était mon modèle en matière journalistique. Je l’ai d’ailleurs rencontré dans l’idée de travailler avec lui. Mais pas assez d’expérience ! Il me donne alors un conseil : « t’as qu’à faire comme moi, puis tu trouveras ton style ». Alors de retour à Toulouse, je créé l’émission « y’a pas d’arrangement », oui, je sais, c’est très toulousain mon truc, une émission de reportages radio. Plus d’une 40aine d’émissions de reportage sont diffusées sur Radio Mon Païs, l’organe de propagande de la CGT. Pour une émission, je décide d’aller à la rencontre des prostituées. Sarko venait de sortir une de ses lois scélérates qui criminalisaient les travailleuses du sexe. Je rencontre alors l’association « Grisélidis » du nom d’une célèbre prostituée qui s’est battue pour faire reconnaître la cause de ces travailleuses. Pour ma part, je n’avais pas d’avis tranché – et je n’en ai toujours pas. Je rencontre Rachel qui accepte de se faire interviewer. Rachel se prostitue depuis 20 ans, environ. Et elle a 40 ans, un âge canonique dans cette profession. L’entretien dure des heures, j’enregistre tout, je bois ses paroles et je me fais remettre à ma place d’homme à de nombreuses reprises. On n’échappe pas à son éducation, ni à des siècles de patriarcat. J’en garde un souvenir magnifique, car j’ai compris que parfois, on peut ne pas comprendre ce qui se joue dans une relation. J’ai accepté cette incompréhension, comme une chance, comme un possible pour demain, pour ceux qui écouteraient l’émission. J’ai gardé mes errements dans le montage, j’ai gardé les silences de Rachel, j’ai gardé ce qui ne se comprend pas pour laisser les possibles. Ne pas comprendre, parfois, c’est la chance de nous libérer de nos certitudes.

Philippe

Le jour où …
j’ai décidé d’arrêter
de perdre ma vie
à la gagner

Sans le savoir, ce jour là, j’ai évité de faire un burn-out. En général, on fait un burn-out parce qu’on a trop de travail. Moi j’ai failli faire un burn-out parce que je n’en avais pas assez. Si vous êtes travailleur·euse indépendant·e, free-lance, précaire, à la recherche d’un emploi … « intermittent du travail » donc, vous comprendrez de quoi je parle. Quand on passe des heures à chercher du taff, à envoyer des propositions ici et là, à surveiller ses mails de façon compulsive, à emmener du travail en vacances, parce qu’on a tellement peur de ne pas en avoir, du travail … que parfois on accepte plusieurs missions en même temps ! Un jour, j’ai dit Stop : « Halte à l’exploitation de l’Homme par l’homme ! » (c’est à dire par moi-même). Bref, j’ai décidé de prendre une année sabbatique. Du jour au lendemain, la pression a baissé. J’ai recommencé à ouvrir les yeux sur ce qui m’entourait. Quelques semaines après, je suis tombé sur un article parlant d’une formation pour créer une « conférence gesticulée » … J’ai choisi d’aborder le thème de « l’accélération du Temps » et j’ai exploré les témoignages de personnes victimes de syndrome d’épuisement professionnel. J’ai réalisé que je l’avais échappé belle. Cela fait 7 ans qu’a débuté mon année sabbatique … Elle n’est pas près de se terminer, car aujourd’hui si je suis très occupé, mon travail n’est plus une contrainte.

Billets d’humeur – Novembre 2021

Sauver la planète peut attendre

Tifen DUCHARNE

Tifen DUCHARNE

Je ne rate pas les James Bond, ni à la télé quand j’étais petiote, ni maintenant quand un nouveau sort au cinéma. J’adore ce personnage, évidemment il a sa part d’ombre, évidemment il a des cas de conscience, mais au fond, ce que j’aime c’est son incroyable efficacité, cette capacité de réaction quasi immédiate, cette façon de retomber sur ses pattes en toute circonstance. C’est les avantages du robot sans les inconvénients finalement.

Est-ce que j’aime sa voiture, son whisky, ses gadgets ? C’est une question que je me pose maintenant qu’on connait tout le travail fait autour du placement de produits dans les films. Le personnage a un côté british chic cultivé, les gadgets apportent un aspect humain, ce besoin d’un outil pour prolonger l’intelligence et augmenter l’efficacité physique, et un brin d’ironie. Le gadget, ce truc qu’on aime bien, qui ne sert à rien mais qu’on garde pour le cas où… il faudrait sauver le monde par exemple.

Pour « Mourir peut attendre », il a fallu retourner certaines scènes : le COVID a interrompu la vie des cinémas, le film n’a pas pu sortir en même temps que le nouveau Nokia qui était le smartphone de Bond, ses vêtements étaient d’une ligne de mode qui n’est plus la bonne maintenant que le film et en salle… Ce dernier 007 incarné par Daniel Craig aurait dû sortir plus tôt, mais ils ont dû prendre le temps de retourner les scènes avec le nouveau nouveau nokia, la bonne fringue et le bon modèle de bagnole.

Pour « Skyfall », sorti en 2012, 30 marques étaient associées au film. Pour « Demain ne meurt jamais » sorti en 1997 avec Pierce Brosnan, la campagne de promotion des marques et le placement de produits dans le film est évaluée à 100 millions de dollars. Cette campagne a d’ailleurs été assez critiquée… Trop de marques comme Heineken qui ne collaient pas avec le caractère chic de Bond, James Bond.
Chaque jour nous sommes exposés à plus de 10 000 marques. Chaque jour des personnes surexploitées traitent du coton avec des pesticides, des enfants fabriquent des tissus hyper traités. Partout dans le monde où le travail coûte si peu cher aux « investisseurs », les vêtements de ces marques sont confectionnés. Chaque jour on reçoit des offres promotionnelles pour un nouveau smartphone, fait de matériaux rares, dont l’extraction nécessite de pourrir intégralement la faune et la flore locales pour des décennies, de semer la terreur chez les humains du coin, et à la fin (de plus en plus proche), quand yen aura plus, de la ressource… AVEC QUOI VA T’ON TOURNER LES SCÈNES DU PROCHAIN JAMES BOND ?! Quand même pas des fringues d’occase et des smartphones reconditionnés, merde… la honte…

Pass ou No Pasaran ?

Philippe CAZENEUVE

Philippe CAZENEUVE

Cette interrogation tourne en boucle dans la tête de beaucoup d’acteurs·trices de l’Action culturelle et socio-culturelle depuis plusieurs semaines.

Des médiathèques aux piscines : Sortez nous de ce mauvais pass ! [Libération – 27/09/21]

Nous pensions qu’un Pass servait forcément à ouvrir des portes, à faciliter l’accès à des publics dit « éloignés ». C’était sans compter avec la Novlangue …

Par un habile tour de passe-passe, le Pass sanitaire interdit l’accès à des lieux qui n’attirent pourtant pas foule, mais n’est pas exigé pour se coller les uns sur les autres dans les transports en commun et aux caisses des grandes surfaces …
Le Pass filtrant serait-il une passoire ? A moins qu’il ne soit un philtre magique pour faire passer une pilule amère ?

En ce qui me concerne, j’ai commencé par refuser quelques dates avec Pass, essayé de décaler certaines demandes sur 2022, accepté des dates avec Pass en proposant d’animer en plus dans un lieu privé un temps d’échange ouvert à tous·tes … Bref, je bricole, je m’adapte en essayant de ne pas perdre l’énergie qui m’anime et le sens de ce qui me semble juste. Les mots justes sont parfois un bon remède aux idées malignes :

«La logique du révolté est de vouloir servir la justice pour ne pas ajouter à l’injustice de la condition, de s’efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel et de parier, face à la douleur des hommes, pour le bonheur.»

(Albert Camus, L’Homme révolté, 1951)

Vive le management agile !
Vive la poudre de perlimpinpin !

Christophe ABRAMOVSKY

Christophe ABRAMOVSKY

Agile, agile… Désormais, le management doit être agile, et disruptif – j’adore ce mot, il m’évoque immédiatement notre Président. Parfois, il faut rendre à César, ce qui est à Jupiter. Je m’égare.

Agile, donc. Les mots sont comme les modes, ils surgissent et effacent ceux devenus obsolètes. On ne parle jamais assez de l’obsolescence des mots. De la magie, je vous dis. Avant on avait le management humaniste, le Lean management, le Chief Happiness officer – manager du bonheur pour les non américanophiles étasuniens. Avant, fallait être heureux au boulot, au risque d’être ringard, fallait bouffer des chamallows et faire le yogui l’air réjouis.

Maintenant, faut être agile. Tu le vois ton matou quand il saute sur le tabouret, puis bondit sur le bord de l’évier sans se casser la gueule. Agile, ton matou. Ben ! le management, c’est pareil. C’est la souplesse incarnée, l’adaptabilité, la flexibilité tous azimuts, la génuflexion avec pont arrière et distorsion de la cyphose.

Ah, c’est pas donné à tout le monde d’être agile, faut du talent, mon collaborateur, du talent naturel, inné, le genre de truc que tu ne pourras jamais acquérir avec l’expérience, la qualification, l’accumulation des savoir-faire de métier. Non ! Mon collabo, le talent c’est un don du ciel, comme l’agilité.

Heureusement, pour parler peuple, y’a le Scrum. Quoi, t’as toujours pas le parlé américano-étasuniens. Fais gaffe, mon subordonné, tu vas te faire étriller au prochain reporting.
Bref, le Scrum, c’est très méthode agile, c’est comme avec le rugby, t’as la mêlée – le Scrum – et pour rendre heureux tes clients, tu pousses en mêlée tous ensemble. C’est beau comme de la coopération, sauf que là, c’est du pipeau – ouais, je suis musicien aussi. T’as le n°9, le demi-de-mêlée qui est à la manœuvre, avec son demi d’ouverture qui oriente le truc. Ils sprintent tous – bon, là, on voit bien que la métaphore du rugby, ça marche pas trop. Parce que va faire un sprint avec des piliers qui font plus du quintal. De la clarinette pour new manager sortis d’écoles de commerce bon chic bon genre. Le Médef, il adore l’agilité. Ça mange pas de pain, ça met au pas les subordonnés, jusqu’à la prochaine mode…